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Les nouveaux enjeux géostratégiques maritimes

Portrait de l'Amiral rogel
Amiral Rogel

Amiral (2S) Bernard Rogel


Dans les années 90, la fin de la Guerre froide a entraîné un changement stratégique profond. Avec la disparition du Pacte de Varsovie, nous sommes entrés dans un monde « mono polaire » dans lequel la puissance des Etats Unis n’était contestée par personne, et où la plupart de ses Alliés pouvaient se contenter d’une garantie de sécurité apportée par eux. A la confrontation « face à face » succédait une multiplication de crises régionales issues pour la plupart de la dislocation de l’empire soviétique mais aussi d’une nouvelle menace grandissante, le terrorisme islamiste. Ce fut l’époque des crises dans les Balkans, au proche et moyen Orient, en Afghanistan, dans l’océan Indien, en Libye, au Levant, en Afrique ...

Un nouveau modèle stratégique s’est installé dans lequel les crises étaient systématiquement réglées par l’entremise de l’ONU, avec la bienveillance des Etats Unis qui se donnaient en quelque sorte le rôle de régulateur du monde. L’Occident possédait le monopole de la puissance militaire, économique et militaire. Dans un grand moment de soulagement lié à la disparition de conflits pouvant l’impacter directement, l’Europe s’est stratégiquement assoupie avec pour conséquence principale une diminution des budgets de défense qui n’a cessé de s’amplifier au

cours de cette période. La Défense est ainsi passée progressivement du statut de première raison d’être de l’Etat à celui de mal budgétaire nécessaire.


Ce modèle, qui a structuré les relations internationales et les questions de sécurité à la fin de la guerre froide, a perduré jusque dans les années 2010 environ. Il est définitivement arrivé à son terme. Nous sommes désormais entrés dans une nouvelle ère stratégique marquée par de profondes ruptures par rapport à la précédente. Il y a évidemment des facteurs de continuité comme la persistance du terrorisme islamiste ou bien la recomposition démographique du monde mais ces facteurs de continuité ne doivent pas cacher les bouleversements qui sont apparus il y a une dizaine d’années et qui sont devenues autant de tendances lourdes. J'en vois au moins six. Cette liste n’est bien sur pas exhaustive. Dans cette recomposition stratégique du monde, on peut prédire, sans grand risque, que les enjeux maritimes tiendront une très grande place et que « le 21ème siècle sera maritime »




satellite autour de la terre
1 - Première tendance stratégique : Le retour des stratégies de puissance

Même si la menace terroriste continue légitimement à nous préoccuper, l’environnement géostratégique est surtout caractérisé par le retour des stratégies de puissance, du rapport de force permanent et de la politique du fait accompli au détriment du multilatéralisme et du dialogue. L’époque est marquée par un affaiblissement sensible de l’ONU qui peine désormais de plus en plus à jouer son rôle d’arbitre des contentieux internationaux. Ainsi, les relations internationales s’exercent désormais dans une période qui n’est plus celle de la préservation de la Paix mais bien celle de l’empêchement de la Guerre. Fait aggravant, en conséquence de la mondialisation et de l’apparition de nouveaux concurrents de l’Occident, les crises seront souvent transverses avec des répercussions mondiales ce qui condamnera les approches stratégiques strictement régionales.


Cette évolution profonde est d’abord perceptible au travers de la multiplication des conflits,

impliquant des Etats. L’invasion de l’Ukraine par la Russie, la confrontation Iran/Israël et les

contestations musclées de territoires maritimes dans les Mers de Chine en sont les démonstrations quotidiennes. Elle l’est aussi par le nombre croissant d’abolitions ou de violations des traités internationaux que l’on a pu constater au cours des dernières années. Elle s’accompagne enfin du retour sur le devant de la scène du fait nucléaire qui reprend de la vigueur comme l’atteste la menace régulièrement brandie par Vladimir Poutine, qui mêle dangereusement dissuasion et intimidation, afin de se prémunir d’un conflit conventionnel qu’il ne peut gagner contre l’OTAN. Par ce fait, il encourage la prolifération nucléaire qui devient un risque avéré.




Photo d'un flotte de navires militaires

Le changement de paradigme stratégique se caractérise surtout par une nouvelle course mondiale aux armements qui se remarque en particulier dans le domaine naval. Les budgets annuels de défense sont ainsi passés, dans le monde, de 1500 milliards de dollars au cœur de la guerre froide à près de 2400 aujourd’hui. Les Etats Unis demeurent la première puissance navale mondiale. Depuis la présidence Obama, ils surveillent, avec une attention toute particulière, la montée en puissance impressionnante de la Chine qui devient leur centre d’intérêt stratégique principal. Conséquence de ce pivot asiatique, une partie de leur flotte a basculé de l’Atlantique vers le Pacifique. Dans ce cadre, ils ont bien conscience qu’ils ne pourront plus faire face seuls aux dérèglements du monde : c’est pourquoi ils réclament avec insistance le partage du fardeau sécuritaire avec les Européens.


Car la Chine est, avec une vraie stratégie mondiale, en passe de concurrencer les Etats Unis en tant que puissance navale dominante. En 2013, le Président Xi Jin Ping a lancé la "Belt and Road Initiative", véritable démonstrateur de leur ambition économique au niveau mondial. Il s’agit officiellement pour la Chine de sécuriser ses routes d’approvisionnement, ferroviaires, maritimes et numériques mais en réalité ces « nouvelles routes de la Soie » sont également un formidable réseau d’influence. Afin de les protéger, mais aussi pour asseoir sa dominance sur les mers de Chine qui lui donnent de la profondeur stratégique, la Chine a consenti un effort extra-ordinaire pour sa marine. Dans son Livre blanc de 2015, elle annonçait clairement cette nouvelle priorité en une phrase simple : «La mentalité traditionnelle selon laquelle la terre prime sur la mer doit être abandonnée». Ce pays a donc tout particulièrement investi dans sa marine de guerre. En 1990 elle ne figurait pas dans le « Top 8 » des flottes mondiales en tonnage. Elle a doublé son volume entre 2010 et 2020 et pointe désormais à la deuxième place de ce classement avec une flotte de 1 500 000 tonnes. En d’autres termes, au cours de ces dix années, la Chine a construit, tous les trois ans, l’équivalent de la marine française (ou britannique). Son ambition est d’atteindre la parité avec les Etats Unis en 2049, à l’occasion du centenaire de la création de la république populaire. Elle ne s’arrête d’ailleurs pas à la construction d’une flotte mais parsème ses routes de la soie de nouveaux points d’appui maritimes en construisant des bases navales ou en achetant des infrastructures portuaires. C’est ce que l’on appelle le collier de perles. L’empire du Milieu, qui a compris qu’une influence mondiale se conquiert par la mer, devient ainsi une puissante thalassocratie.


Cette course à l’armement naval ne peut se réduire aux deux pays précédemment cités. En premier lieu notons le retour de la Russie dans le club des puissances, 20 ans seulement après avoir été enterrée ! Elle n’a bien sûr plus la force du pacte de Varsovie, car son budget annuel consacrée à la défense est très loin de celui des Etats-Unis et de la Chine. Mais dans le domaine naval, elle continue la modernisation de sa flotte avec un effort particulier sur ses sous-marins qui reviennent sur le devant de la scène, avec un niveau de qualité technique et de longueur de déploiement inédits. De l’autre coté du globe, la montée en puissance navale de la Chine est accompagnée par celle des acteurs de la région Indopacifique qui l’observent avec beaucoup d’attention. C’est ainsi que l’Inde, le Japon et la Corée du Sud ont fait également leur entrée dans le « Top 8 » des marines par le tonnage et en ont écarté les marines européennes à l’exception de la Grande Bretagne et de la France, celle-ci étant néanmoins repoussée à la 7ème place. Dans le Golfe arabo-persique, l’Iran a considérablement développé sa marine. En Méditerranée, la Turquie, qui possède déjà une flotte très respectable, a décidé de construire deux porte-aéronefs. D’autres puissances navales régionales émergent dans cette région comme l’Algérie, avec une flotte nombreuse et des sous marins capables de mettre en œuvre des missiles de croisière, ou bien encore l’Egypte qui a acquis deux bâtiments porte-hélicoptères amphibies. Chaque puissance navale en devenir fait effort dans le domaine des porte-aéronefs afin de pouvoir projeter sa puissance en mer et vers la terre mais aussi dans celui des sous-marins modernes. On en compte désormais près de 500 répartis dans une quarantaine de pays.


Nous assistons donc à un rééquilibrage du monde stratégique par la redistribution mondiale de la puissance et le réarmement naval global. En conséquence tous les théâtres maritimes, dont certains avaient été mis en sommeil à la fin de la guerre froide, connaissent un renouveau stratégique. Désormais les démocraties occidentales n’ont plus le monopole de la puissance navale. Nous passons d’une époque dans laquelle nos forces pouvaient choisir leurs affrontements à une autre, nouvelle, où elles les subiront.




Photo d'un téléphone portable tenu dans une main en gros plan
2 - Deuxième tendance : La « conflictualisation » des espaces communs

La mondialisation s’est construite sur le principe de libre circulation des biens et des données au travers d’un maillage mondial implanté dans ce que l’on appelle les espaces communs que sont la Mer, l’Espace exo atmosphérique et le Cyberespace. Nos frontières traditionnelles sont traversées par des flux de marchandises et de données, qui sont désormais les artères vitales de nos sociétés mondialisées. Le monde s’est ainsi organisé comme un gigantesque marché dans lesquelles les flux ont remplacé les stocks et les productions nationales. La pandémie mondiale et la guerre en Ukraine nous ont fait prendre conscience que nous sommes passés, sans nous en apercevoir réellement, d’une dépendance consentie à une dépendance subie. Cela exige une réflexion importante sur la notion de souveraineté. Il convient également de constater que ces espaces communs, dont la liberté est essentielle aux échanges, présentent aujourd’hui un risque croissant d’affrontements.


C’est le cas des flux maritimes qui, sous l’effet de la mondialisation, ont quadruplé depuis quarante ans. Car la mondialisation s’est d’abord traduite par la maritimisation du monde. En effet, plus 80 % du commerce mondial, c'est-à-dire ce que nous consommons au quotidien, transite par voie maritime. La mondialisation a ainsi entraîné une forte dépendance de nos pays à la sécurisation des principaux axes maritimes mondiaux qui ont la particularité de passer par des détroits qu’il est plutôt facile de bloquer. Nous en avons aujourd’hui un bon exemple avec la crise en Mer Rouge. Cela veut dire qu’il nous faut lutter fermement contre les menaces directes sur ces flux, comme la piraterie ou le terrorisme maritime, mais aussi et surtout faire respecter le principe de libre circulation des navires par tous les Etats riverains. Cela passe par la sécurisation de ces détroits mais aussi par le respect du Droit international dont l’Union européenne doit se faire la championne. Il convient également de remarquer qu’un deuxième espace commun s’enchevêtre avec l’espace maritime : c’est celui du numérique. En effet, plus de 99% des échanges numériques intercontinentaux transitent par des câbles sous-marins dont la surveillance et la sécurisation deviennent un enjeu primordial.


Cette liberté de navigation est donc essentielle. Mais aujourd’hui, et de manière un peu paradoxale avec cette notion de flux, de nouvelles frontières sont en train de s’établir dans les zones maritimes pour la recherche de ressources, réelles ou potentielles, ou à des fins stratégiques. En effet l’augmentation de la population mondiale et la raréfaction de sources d’approvisionnement à terre amèneront inexorablement à se tourner de plus en plus vers la mer pour l'énergie, l'alimentation, la recherche pharmaceutique, les minerais...

Cette « industrialisation » croissante de la mer sera, n’en doutons pas, l’un des principaux défis du 21ème siècle. La mer n’est plus seulement un lieu de passage essentiel : elle devient également un espace de nouvelles frontières. C’est ainsi que l'on voit de multiples contestations du droit international, de la mer de Chine à la Méditerranée orientale, en passant par le golfe arabo persique. On peut parier que l’Arctique sera demain une zone de compétition accrue si la fonte des glaces perdure et libère l’accès à des zones de prospection ou d’exploitation.


La maîtrise des flux et des zones maritimes constitue donc à l’évidence le ferment de nouvelles

stratégies de puissance et certains états se dotent de flottes importantes mais aussi de stratégies maritimes, parfois très intrusives. Cela se traduit par une multiplication des zones de friction entre pays qui se livrent à des activités de démonstration, parfois à la limite de l’épreuve de force. Cela porte naturellement une menace potentielle pour nos propres zones maritimes. Il nous faut donc être intransigeant sur le respect du droit international sous peine de voir la politique du fait accompli prendre le dessus et entraîner une dérégulation porteuse de conflits potentiels.




Image symbolisant la vitesse
3 - Troisième tendance : l’accélération du monde et l’entrée dans l’âge de l’impatience

Les sociétés occidentales sont devenues court-termistes d'abord parce que leur rythme s'est accéléré en même temps que l'accès populaire aux technologies numériques, avec en particulier l’avènement des réseaux sociaux. Mais aussi parce que le rythme politique de décision des démocraties s'est accéléré en raison d’un rythme électoral intense. Nous sommes ainsi véritablement entrés dans l'âge de l’impatience. Tout doit aller très vite.


La première conséquence en est une exigence de résultats rapides dans la gestion des crises. Nous assistons à une véritable contraction des temps médiatique, politique et militaire, due essentiellement au développement des outils de l'information. Une crise peut se déclencher par une simple photo prise quelque part dans le monde, relayée très rapidement par les réseaux sociaux puis par les chaînes d’information continue. En quelques heures, le pouvoir politique est saisi et demande une réaction aux forces militaires. Cela redonne de la vigueur aux dispositifs déployés en mer pour être capable de réagir vite (Golfe de Guinée, Océan indien, Est de la Méditerranée...). Nous en avons eu une démonstration avec la récente évacuation de nos ressortissants à Haïti par les bâtiments de la mission Jeanne d’Arc qui transitaient dans la zone.


Cette vitesse du monde peut être également, si l’on ne prend pas garde, une entrave à la construction des stratégies de long terme nécessaires pour l’avenir de notre pays. Un outil de défense, une politique énergétique, une ambition écologique ne se décrètent pas en quelques années. Il faut des décennies pour les bâtir. Il faut donc s’inscrire dans le temps long, et savoir composer avec les contraintes du temps court, pas l’inverse. Cette difficulté est bien réelle aujourd’hui : Dans nos sociétés occidentales, les stratégies du temps long sont parfois sacrifiées aux intérêts de court terme parce qu’il faut répondre, sans délais, aux préoccupations immédiates, et parfois très égoïstes, de nos concitoyens. C’est une lutte permanente qui s’installe entre le temps sociétal, donc politique, et le temps stratégique.


4 - Quatrième tendance : La fulgurance de l'évolution technologique

La fulgurance technologique, à laquelle nous assistons depuis une vingtaine d’années, présente trois caractéristiques qu'il faut avoir présentes à l'esprit.


La première, celle qui nous concerne au premier chef, est sans nul doute la compétition acharnée entre les "grandes" nations pour le contrôle des technologies avancées et donc celui des normes et des standards. Celui qui emportera cette bataille imposera ses conditions au monde. Au cours des années de développement industriel du dernier siècle, les Occidentaux ont inventé la machine à vapeur, l'électricité, l'internet. Nous étions les champions du monde de la technologie. Mais force est de constater que nous sommes désormais en concurrence féroce avec d’autres pour ce qui concerne l'intelligence artificielle, la 5G, la physique quantique, c'est-à-dire les technologies qui vont construire notre avenir. Il faut également constater, dans ces domaines, l’intrusion d’acteurs privés qui privent les Etats de leurs prérogatives. Cette compétition technologique est l’un des grands défis qui se présentent à nous. Nous ne pouvons être absents de cette compétition. Et c’est bien à l’échelle européenne que nous pourrons y répondre.


La seconde est la vulgarisation technologique : Il y a vingt ans nous pensions encore que notre

domination technologique nous mettait à l’abri de tout. En réalité, aujourd’hui, cet avantage est

contesté par la démocratisation de la technologie (messageries chiffrées, modes de fonctionnement en réseau, drones armés, capacités de désinformation,.....). Elle a pour conséquence un pouvoir égalisateur sur le plan opérationnel dans la lutte du « faible au fort ». Elle entraîne également quelques réels dangers dans le domaine de la prolifération des armements.


Enfin le dernier point lié à la fulgurance technologique est la maîtrise de la technologie au sein de nos armées et singulièrement au sein de la Marine. Le numérique envahit tout : il pose un certain nombre de questions en termes de souveraineté mais aussi en terme de cybersécurité, qui doit être un point d'attention absolue. Il a surtout fallu totalement repenser notre maintien en condition opérationnel et la résilience technologique des bâtiments qui rentrent aujourd’hui en service. Dans le passé, on construisait un navire pour quarante ans avec une modernisation à mi-vie. Le cœur du navire était mécanique. Aujourd'hui, c'est le système de combat informatique qui est au cœur du navire. Il suffit de regarder combien un téléphone portable se périme vite pour comprendre que nous devions changer radicalement notre vision de l'entretien des équipements et de nos ressources humaines dont la formation doit être continue.


5 - Cinquième tendance : Le changement de nature des conflits

Nous assistons également à un changement de nature des conflits qui deviennent plus globaux. C'est ce que l'on appelle parfois la guerre "hybride" qui allie action militaire, propagande et désinformation, cyber, actions déstabilisatrices, conflits régionaux, démonstrations de puissance, emploi de mercenaires pilotés en sous-main par des états. Lorsque l’on parle de stratégies hybrides, on pense tout de suite, non sans raisons, à la guerre informationnelle dont le danger va croître avec l’arrivée de l’Intelligence Artificielle. C’est ainsi que les états totalitaires utilisent déjà les techniques d’influence informationnelles très élaborées pour proposer des alternatives au modèle occidental ou pour déstabiliser les démocraties.


Mais le périmètre de ces stratégies hybrides est bien plus large. C’est d’ailleurs dans leur cadre qu’il faut s’intéresser de très près à la sécurité des infrastructures sous marines, comme les câbles d’information numérique ou de transport d’énergie. L’explosion mystérieuse des gazoducs Nord Stream en 2022 est une illustration concrète de cette nouvelle guerre des fonds marins. Elles peuvent également, dans le domaine maritime, prendre des formes très diverses : Attaques non revendiquées contre des pétroliers dans le détroit d’Ormuz en 2019, emploi en nombre de pêcheurs pour occuper « pacifiquement » des zones maritimes, développement de flux migratoires à des fins de déstabilisation ou pour peser dans des négociations, emploi de milices armées à la mer, minage anonyme de détroits vitaux ou d’accès à des ports stratégiques...


Dans la confrontation des puissances, l’action militaire sera donc à l’avenir rarement isolée. Il est très probable qu’elle soit encadrée dans une stratégie beaucoup plus large dont une partie reposera sur ces stratégies hybrides.




Photo de la fonte des glaces
6 - Sixième tendance : Les conséquences du dérèglement climatique

Il faut enfin être particulièrement conscient que le dérèglement climatique et ses conséquences

(désertification, pénurie d’eau douce, diminution des stocks halieutiques, montée des eaux, recul du trait de côte...) sont les ferments de futures crises. Il risque, entre autres, de provoquer une

accélération de l’immigration en provenance de pays touchés par la désertification, de créer des

tensions régionales pour l’accès à l’eau douce, de créer des frictions dans les zones maritimes pour l’accès à de nouvelles ressources, de provoquer un accroissement des problématiques liées à la montée des eaux, de déclencher des conflits pour le contrôle des ressources halieutiques... Ces conséquences du dérèglement climatique sont désormais intégrées dans les travaux de planification stratégique.

Défendre l’environnement, outre son impératif aspect moral et la nécessité de préserver notre planète pour les générations à venir, c’est également éviter de nombreuses crises sécuritaires dans le futur. Il aura fallu beaucoup du temps pour enfin admettre que les problématiques environnementales liées aux océans sont primordiales. On ne peut que se féliciter de l’action déterminée de la France pour l’éveil des consciences dans ce domaine.


Conclusion :

Voila, dessinés à grand traits, les grandes tendances de notre monde telles que je les perçois. Certains parlent d’un désordre mondial. Je ne le crois pas. Il s’agit en réalité d’un nouveau paradigme stratégique avec de nouveaux équilibres qui se mettent en place et ne sont pas encore stabilisés. Notre monde sera à l’évidence différent de ce qu’il était dans la période stratégique précédente. Alors qu’il est encore dans une phase de transition, il sera moins compréhensible et moins prévisible, et marqué par la fin du monopole occidental dans tous les domaines économique, technologique, militaire...


Notre sécurité ne se jouera plus uniquement en termes d’appareil militaire mais aussi dans des

batailles, plus ou moins visibles, dans les espaces communs, au moyen de stratégies frontales et hybrides. Dans ce nouveau monde, le contrôle des espaces maritimes revient au premier plan des considérations stratégiques. Nous ne pouvons pas ignorer que nous sommes dans une phase importante de réarmement naval au niveau mondial.


Nous pouvons être légitimement perturbés par ce nouveau paradigme stratégique qui nous sera moins favorable que le précédent mais il ne s’agit pas d’en être effrayé au point de se réfugier dans une spirale inéluctable de conflictualité. Au contraire, il faut examiner ces changements avec lucidité et continuer à promouvoir, sans aucune naïveté, le dialogue et le multilatéralisme. Cela nous impose, à l’aune de ce nouvel ordre mondial, de nous adapter en ne remplaçant jamais notre volonté d’avancer par une certaine forme de renoncement. Le misérabilisme, qui devient malheureusement un effet de mode médiatique et sociétal, doit être fermement combattu. Il est vrai que nous assistons aujourd’hui à une forme de concurrence inédite avec de nouveaux pays mais ce n’est pas parce que les autres progressent que nous sommes condamnés à régresser ! En revanche, il nous faudra certainement, si nous voulons peser face aux Etats-continents, nous appuyer davantage sur la solidarité avec nos partenaires européens, avec qui nous avons une réelle communauté de destin.


Les deux dernières lois de programmation militaire, engagées depuis 2017, viennent, sur le plan de la défense de notre pays, corriger nos trop longues années d’assoupissement stratégique et d’érosion de nos capacités militaires. Il faudra certainement dans l’avenir poursuivre l’effort de modernisation et d’augmentation de format de nos armées pour faire face à ce panorama stratégique inédit. Mais il faut aussi et surtout continuer à réexaminer, à l’aune de ce nouveau monde, tous nos modèles, militaire, diplomatique, économique, technologique, écologique, énergétique ainsi que nos alliances et nos partenariats. Nous avons, en Europe, largement les moyens de faire face à ce nouvel équilibre mondial à condition d’en avoir la volonté collective. C’est un vrai défi pour nous qui avons des siècles d’habitude derrière nous. Contrairement à certains Etats qui construisent leur maison dans ce nouveau monde, notre vieux continent doit rénover la sienne. C’est un défi plus difficile mais je persiste à croire que nous en avons les moyens et les capacités. L’erreur fatale serait de refuser de voir le changement de paradigme stratégique et de s’entêter à raisonner avec le modèle précédent.

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